"Enseigner en classe coopérative", troisième jour

8h : Oui, je n’ai dormi que 6 heures, mais j’ouvre grand les yeux et je me lève sans effort… pour constater qu’il fait un soleil radieux. “Ça y est, tu es en mode stage !” me dira Isabelle en rigolant lors du petit déjeuner. Avant le conseil, comme je l’avais proposé la veille au bilan, j’entreprends de tracer sur une grande affiche les contours d’une carte de France pour que chacun se localise : si la plupart des stagiaires viennent de l’Hérault, quelques autres viennent du Gard, de l’Aude (de Duilhac-sous-Peyrepertuse, par exemple !), de Lozère, du Rhône (Félicia, Guillemette et Bruce), de l’Ain… une famille vient même de Bretagne chaque année ! Nous sommes deux des Bouches du Rhône.

9h : Le conseil s’amorce, en musique… Les deux co-présidentes (Isabelle et Guillemette) accueillent les participants par le chant canon “terre de feu” (ce qui troublera quelque peu le travail des stagiaires BAFA dans la salle voisine… oui, ben, chacun son tour !). C’est une entrée en matière très douce et très agréable – même si c’est un peu tôt pour les aigus en ce qui me concerne !

Le conseil est rondement mené et quand on démarre à l’heure, c’est plus facile… Comme c’est le dernier jour, des ateliers d’une heure sont proposés en matinée afin que chacun puisse participer à deux ateliers.

10h : j’ai rejoint le groupe “journal”, je gère les demandes de prises de paroles (enfin j’essaie !). L’intérêt et la finalité d’un journal de classe ou d’école, c’est d’abord la mise en valeur de l’écrit par sa diffusion et sa communication. C’est un puissant moteur pour toutes les activités d’écriture, et l’appropriation de l’outil informatique (mise en page) n’est qu’une préoccupation secondaire. Le bon rythme pour tous, c’est un journal “papier” par période. C’est un outil de diffusion qui peut être complémentaire des célèbres petits livres, ou d’un site internet de classe… C’est Franck qui posera la phrase de synthèse : “Le journal, j’aimerais que ce soit le reflet des apprentissages”.

Le temps file, mais Anaïka a apporté plein d’outils sur le journal et les projets d’écriture en général (j’ai adoré l’idée des affiches “lunettes d’orthographe”, “lunettes de conjugaison”… qu’elle utilise pour faire étudier ou corriger un texte). On parlera aussi d’Hundertwasser (peintre et architecte autrichien), je ne sais plus pourquoi ! Du coup, on a bien dépassé l’heure prévue…

11h20 : je m’incruste au milieu de l’atelier sur le tutorat, qui a démarré sans moi. Mais à ce moment-là, le débat entre ce qui relève du tutorat et ce qui relève de l’entraide n’est pas encore tranché… Nous progressons. L’entraide relève d’un dispositif informel et symétrique (deux élèves travaillant en même temps sur la même compétence), alors que le tutorat est une relation disymétrique (du style passeur/receveur), organisée de manière plus formelle (cadre).
Bref, dans tous les cas, “c’est à plusieurs qu’on apprend tout seul” (François le Ménahèze).

Et comment expliquer à un enfant “comment aider”, sans faire à la place ? “Aider, c’est d’abord poser des questions” répond Nico.

12h30 : Bonne nouvelle ! Le vent est tombé, le soleil resplendit, on va pouvoir manger dehors et prendre l’apéro au soleil.
Le stage se terminant à 17 heures, Loïs déploie une dernière fois son Kamishibaï sous les arbres. Puis un groupe de stagiaires nous présente un “lapbook” : une sorte de livre-dossier thématique, mis en forme avec des pages animées qui cachent des infos, des enveloppes qui s’ouvrent, des “pop-up”, des illustrations, des livrets pliés-à-déplier, des collages, des montages… Celui de ce jour, magnifique, avait pour thème “comprendre le principe du lapbook” !

13h45 : J’ai effectué mes achats à la bibliothèque, juste avant que les livres ne retournent dans leurs cartons. J’ai opté pour un fascicule sur “la formation des enfants médiateurs”, ainsi que pour le fichier “sciences au bout des doigts” des éditions Odilon, pour permettre aux élèves de développer plus régulièrement leurs propres expériences en classe. Le marché aux connaissances va commencer.

14h : L’Iza donne les dernières consignes avant le marché. Je serai receveur dans le premier groupe et passeur dans le second. Je parcours la liste des 14 “ateliers-connaissances” proposés : fabriquer des fées en fil de fer, auto-massage(s), préparer un exposé… Je commence par entrer la salle “Vent d’autan” où Steph’ (@audecorbieres) a proposé un atelier pour découvrir Twitter. Elle l’utilise pour son boulot et elle a également un compte pour sa classe. J’envoie mon premier tweet depuis son compte (une bouteille à la mer !) et ô miracle… Je reçois une réponse d’un de ses contacts moins d’une minute plus tard. J’ai brillamment réussi le tweet-test !

Comme personne d’autre ne se présente, je dépasse largement le temps prévu pour l’atelier (mais je suis receveur, et le “client” est roi !). Je découvre les subtilités du micro-blogging, l’interface Tweetdeck, les hashtags, la différence entre les messages publics et les messages privés (Direct messages). Nous évoquons Eric Besson qui veut coucher avec toute la tweetosphère

Merci Steph’, c’était vraiment très intéressant. Mais je vais réfléchir encore un peu avant d’ajouter une nouvelle couche de messages instantanés alors que je gère déjà difficilement mes boîtes mails…

Quand je quitte la salle, il ne me reste que 5 minutes pour un second atelier. Mais je ne peux pas participer seul à l’atelier ”chaises” de Laure (je ne saurai jamais ce que c’était, pas plus que onze autre ateliers manqués : c’est donc aussi un marché d’ignorances ?!). Alors je m’intéresse aux livres animés d’Anaïka (qui mêlent littérature, productions d’écrits, histoire des arts, créations plastiques…), en mode express, parce que la première phase s’achève.

15h : pour mon rôle de passeur, je me suis installé un peu à l’écart, à l’extérieur de la salle Brise, en plein soleil… J’ai prévu un atelier intitulé “AR-TI-CU-LER” en utilisant les phrases “virelangues” que je répète chaque semaine au cours de théâtre (j’ai découvert après coup que sur le site de Bruce, y’ en a beaucoup plus…).
Là, je passe 40 minutes sans voir personne (pas le moindre receveur, c’est la dure loi du marché !). Ce n’est pas désagréable, c’est le premier vrai temps d’isolement et de prise de recul que je vis depuis dimanche matin… J’en profite pour repenser aux échanges auxquels j’ai eu la chance de participer au cours de ces trois jours, je gratte quelques mots pour ne pas oublier… et je profite du soleil !

Lorsqu’enfin une personne s’approche, c’est Laure, à la recherche de l’atelier de respiration vietnamienne, qui a déménagé… Elle accepte alors de jouer le jeu des virelangues, ouf, je ne finirai pas capot !

A quelques minutes du terme, je plie les gaules et je rejoins Félicia en train de détourner des oeuvres d’art par collage et extension de l’image, avec Isabelle. Encore une bien belle idée…

16h : Le marché de connaissances s’achève sans bilan, et c’est pas grave ! Le bilan du stage s’amorce sous la présidence de Patrick. Les locaux, les ateliers, la place des enfants… chacun a la possibilité d’exprimer son ressenti par un “bilan météo”, puis d’argumenter – ou pas. La très grande majorité a choisi de voter “soleil”, évidemment. Il s’en est dit des belles choses, il aurait fallu que je prenne des notes… Quelqu’un a cité Benoît, le grand absent du stage : “Regarde ce qu’on est capable de construire pendant trois jours, et si c’était la vie qu’on organisait comme ça ?” Quelqu’un a parlé de bienveillance, de générosité, d’enthousiasme… J’ai ressenti beaucoup d’émotion notamment lorsque Jean, compagnon d’enseignante mais non-enseignant lui-même, a reconnu avoir pris beaucoup pris de plaisir au cours de ces trois jours…

Et moi dans tout ça ?

A ce moment-là, je suis traversé par de multiples sentiments : de la fierté, d’avoir fait partie de ce groupe, et d’avoir participé à cette aventure ; de la joie, d’avoir côtoyé tant de personnalités ouvertes, riches et différentes ; de l’impatience, de retourner faire vivre toutes ces idées dans ma classe et mon école (et aussi de revenir en stage l’an prochain !) ; et un peu de tristesse, parce que je vois bien que c’est fini et que chacun va repartir de son côté…

J’ai participé à quelques aventures collectives mémorables, dans des équipes d’animation, dans des clubs sportifs, dans diverses associations, et dans certaines équipes d’écoles. Mais cette aventure-ci, de par son organisation en auto-gestion, sa richesse et sa brieveté (sa brévitude, quoi !), restera l’une des plus intenses. En venant ici, je ne m’attendais pas à vivre – sur un concentré de trois jours – autant d’échanges professionnels de cette qualité, et autant de si belles rencontres.

Sur un plan strictement professionnel, ce furent trois jours de formation magnifiques : échanges de pratiques, confrontations d’idées, clarification de concepts et d’organisations pédagogiques, collection d’outils, de livres, de sites et de références… Je ne sais pas encore ce que je vais faire de tout cela, quand je vais prendre le temps de creuser ni comment je vais l’intégrer dans mon fonctionnement, mais il y aura des bénéfices certains à court, moyen et long terme !

Quand je repense à l’enthousiasme collectif communicatif que j’ai ressenti à chaque moment du stage, j’envisage le retour à la réalité avec appréhension, en pensant à la prochaine conférence pédagogique au menu des six heures  de formation continue définies par notre Inspecteur, au titre follement excitant : “Histoire de l’échec scolaire” (3h), par Mme Denise F., IEN, cycles 2 et 3. C’est malheureusement authentique… “C’est des gens, ils te vendent de la pédagogie, ils ont pas un échantillon sur eux !” dirait Coluche. Je sais à l’avance comment cela va se passer…

Conférence pédagogique – Détournement d’un dessin original de (c) Jorge Cham

Au-delà des outils et des idées “scolaires”, j’aurai aussi beaucoup appris sur le plan humain, sur l’auto-gestion et la dynamique de groupe. J’ai rarement vu une parole aussi libre et aussi vivante dans un groupe d’adultes qui se connaissent à peine. Je n’avais jamais vécu à cette échelle une expérience authentique de “démocratie participative”, sans hiérarchie, dans laquelle les décisions privilégient le collectif tout en essayant de prendre en compte au mieux les demandes individuelles. Je n’avais encore jamais rencontré un groupe de gens qui applaudissent en secouant les mains, ou qui clignotent, et j’ai adoré ça !

Il y a deux ans, je ne savais rien de la pédagogie Freinet, c’était quelque chose qu’on ne m’avait jamais présenté que comme un vague truc d’une époque révolue, qu’une bande d’iconoclastes utopistes tentait de faire survivre en résistant encore et toujours à l’envahisseur… Mais Freinet est vivant, je viens de le rencontrer, je veux que ma classe fonctionne comme ça, que cela s’appelle classe coopérative, pédagogie Freinet ou pédagogie institutionnelle, c’est vivant, c’est vrai…

Je reviendrai donc l’an prochain (inch’Allah), avec plein d’outils, plein de questions et plein d’enthousiasme !

17 heures : le “bilan du bilan” s’est donc achevé dans une belle émotion, et les premiers stagiaires ont décampé. Mais nous étions un certain nombre a avoir signé pour une journée de plus…

17h03 : j’ai rejoint le groupe de “ceux-qui-n-en-ont-jamais-assez” à une table de présentation de jeux mathématiques. On a joué à Lobo77, au “Six qui prend”, avec les cartes d’Aritma.net, et avec les formes géométriques d’Attrimaths.

Ensuite, j’ai perdu la notion du temps (mardi soir ou mercredi matin ?!) : j’ai récupéré des fichiers chez Bruce (et la référence à Serge Boimare : Lire les mythes pour guérir la peur d’apprendre). On m’a aussi parlé de Daniel Gostain (verbes, sujets et compagie) ainsi que de Monique Quertier (les créations mathématiques).

L’Iza m’a montré ses pinceaux à eau, idéaux pour les crayons aquallerables… et elle a aussi filé plein de ressources à Félicia. Pierre a organisé une partie de Taï Chi Chuan (un jeu de lettres), Bruce une partie de “mots sur la route” (Word on the street). Des jeux, encore des jeux : Fabula, il était une fois (Play Factory), Brick by Brick et Block by Block (chez Binary Arts), Set (jeu de logique des éditions Gigamic)…

Mercredi matin, après le petit déj’ et le rangement, c’est enfin l’heure de LA pause avec les derniers vaillants : ceux qui sont encore là et qui n’ont pas (encore !) chopé la gastro ! C’est parti pour une vraie balade sur la plage, sous le soleil, sans vent, loin du boulot… (Bon on a encore parlé un peu d’école et de pédagogie… et de nos vies aussi…!) C’était chouette… Sur le  retour, échange apprécié avec Pierre sur la démarche Pidapi, l’esprit coopératif et la nécessaire résistance à l’institution, encore !

A midi on était plus qu’une douzaine, ça sentait la fin, mais non ! Nico a encore proposé un ultime atelier aux 5 survivants : une “histoire des techniques d’animation en 22 extraits de film” en trente minutes. En fait ça a duré… une heure trente. Mais c’était génial !

Là, j’ai cru voir “the end” qui s’affichait sur l’écran, alors j’ai dit au revoir… et je suis parti en courant de peur qu’un autre atelier démarre : il y a un moment où il faut savoir s’arrêter, non ?

Cyril, Lyonnais de Marseille – le 31 octobre 2011

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