Évaluation

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Toute différenciation de l’enseignement appelle une évaluation formative, autrement dit une évaluation censée aider l’élève à apprendre. (Philippe Perrenoud, La pédagogie différenciée)

Playmobil judokasÉvaluer, oui mais… quoi, quand, comment ? J’aurais mis quelques années avant de me poser ces questions, et de trouver des éléments de réponse.

J’ai eu l’occasion de tester différents codes d’évaluation à différents niveaux et dans différentes écoles, dans un souci d’harmonisation avec mes collègues. J’ai mis des notes (sur 10, sur 20, sur 100 avec des pourcentages), des appréciations (TB, B, AB, …), des couleurs (points verts, oranges, rouges…), des codes d’acquisition (A pour acquis, ECA pour en cours d’acquisition, NA pour non-acquis)…

Au-delà de la querelle des codes, j’ai réalisé que j’effectuais essentiellement des évaluations sommatives (dans le sens évaluation des acquis en fin de parcours, à la fin d’une séquence ou d’une leçon), et que je m’arrêtais là : dans une logique de progression du groupe-classe, je ne me donnais pas les moyens de reprendre ce qui avait été raté, ni de remédier aux difficultés les plus criantes. J’attribuais un 12 ou un B+ en “conjugaison” sur l’imparfait, et puis… je passais au futur simple ou au passé composé.

J’ai fini par ne plus supporter ces appréciations qui ne disaient rien, ou de ces notes qui reflétaient si imparfaitement les acquisitions des élèves. Je ne savais pas réellement où ils en étaient, et pourtant je renvoyais des notes et des moyennes trimestrielles qui rassuraient… ou inquiétaient les parents. La comparaison allait bon train (d’une note à l’autre, ou d’un trimestre à l’autre… un non-sens lorsqu’on évalue des compétences différentes !), tandis qu’une compétition malsaine se développait entre les élèves.

Ainsi, chaque élève est assigné et identifié à la place ou au rang qu’il occupe dans la classe (y compris matériellement), et il tend à s’y identifier lui-même. (Andre Lévy – Les enjeux sociaux occultés de l’évaluation).

Lorsque j’ai réalisé que la docimologie (la “science” de l’évaluation) produisait elle-même des effets d’erreur, et que la notation chiffrée s’accompagnait systématiquement de la constante macabre… j’ai cessé d’attribuer des notes et des appréciations au bout de dix ans d’enseignement.

L’évaluation par compétences a fini par m’apparaitre comme une évidence : “être capable de conjuguer les verbes à l’imparfait” (ou non…) me semble beaucoup plus opérationnel et beaucoup plus parlant qu’un 12 ou un B+ attribué en “conjugaison”.

J’ai longtemps cherché un système à la fois cohérent, juste, aisément compréhensible par les enfants, lisible et parlant pour les parents. Et surtout, un système susceptible de prendre en compte les différents moments de l’acte d’apprendre, capable de guider et de soutenir l’enfant tout au long de son parcours, et donc de “l’aider à apprendre”. J’ai donc choisi d’évaluer les compétences de mes élèves à l’aide de ceintures, institution issue de la pensée de Fernand Oury (fondateur de la pédagogie institutionnelle) sur le modèle des ceintures de judo. J’utilise les grilles de compétences des ceintures associées à la démarche PIDAPI.

Il s’agit d’une évaluation essentiellement formatrice, qui associe les élèves au dispositif :

  1. L’élève sait exactement sur quels critères il est évalué (ce qu’il doit maîtriser) ;
  2. Il s’entraine sur des épreuves “test”, pour s’autoévaluer ;
  3. Lorsqu’il pense être prêt (suffisamment entrainé), il peut demander à passer la ceinture visée.

Les intentions liées à ce mode d’évaluation sont nombreuses :

  • tenir compte des connaissances initiales des élèves, en ne retravaillant que les compétences qui ne sont pas maitrisées ;
  • permettre aux enfants de progresser en entrant dans des activités situées dans leur zone proximale de développement (terme de Vygotsky), c’est à dire ni trop aisées, ni trop complexes au regard de leur niveau actuel ;
  • sortir de la compétition, et entrer dans des apprentissages coopératifs : celui qui obtient une ceinture devient une ressource pour ceux qui ne l’ont pas encore, qui peuvent le solliciter.
  • et surtout, mettre en place une pédagogie de la réussite, pour permettre à tous d’entrer dans une dynamique vertueuse d’effort, d’apprentissage, de réussite.

Si un apprenant ne parvient pas à réaliser sa consigne, le formateur est face à un choix stratégique :

  • il explique ce qui n’est pas compris pour obtenir une prise de conscience des erreurs réalisées (et on recommence) ;
  • il propose une autre tâche, à peine plus facile, mais choisie de manière à ce que la personne puisse la réussir, et ainsi aborder à nouveau celle qu’il vient d’échouer pour la réaliser.

Mettre en œuvre une pédagogie de la réussite c’est, pour le formateur, évidemment le second cas : proposer aux stagiaires, aux élèves, aux apprenants, … non pas ce qu’ils doivent savoir, mais une action qu’ils peuvent réussir. (Marc Guidoni)

Cette approche modifie considérablement la place et le statut de l’évaluation (et celui de l’erreur) dans la classe : en balisant le parcours d’apprentissage avec différentes étapes à valider, chacun construit son propre parcours à son rythme, l’évaluation est continue – et multiple.

Enfin, les ceintures ont l’évaluation pour objectif. Celle-ci est à la fois diagnostique, formative, sommative et formatrice. Elle est diagnostique lorsqu’en début d’année l’enseignant évalue les compétences maîtrisées par les élèves. Cette phase initiale d’évaluation permet de disposer des profils constitutifs de la classe. Elle est formative parce que lorsqu’un enfant échoue dans la passation d’une ceinture, ses domaines de maîtrise sont identifiés et considérés tout comme ses insuffisances sont retenues pour faire l’objet d’une remédiation. Elle est sommative parce qu’une ceinture ne peut pas être retirée et ce qui est obtenu en début d’année n’est pas remis en question ultérieurement. Un enfant qui réussit une ceinture voit son domaine de préoccupations changé et son statut dans la classe modifié puisqu’il devient expert pour les compétences de la ceinture qu’il vient d’obtenir. Lorsqu’il change de classe, il n’est plus nécessaire d’évaluer à nouveau ce qui a été acquis. Elle est formatrice  parce que ce travail d’évaluation permet également aux enfants d’apprendre dans la mesure où les validations se font soit lors d’entretiens personnalisés, soit face au groupe entier qui valide ou pas la maîtrise d’une compétence. (Sylvain Connac)

Le parcours d’évaluation dans ma classe

  • Les élèves ne s’entrainent que sur les compétences échouées lors de la pré-ceinture (évaluation diagnostique avant le travail d’entraînement) ou d’un folio (évaluation dans le passage de la ceinture à l’issue du travail d’entrainement) ;
  • J’ai conservé les points de couleur pour une évaluation formative du travail d’entraînement : point vert pour une compétence maitrisée (au-delà de 75 % de réussite), point orange pour une compétence à revoir (entre 50 et 75% de réussite), point rouge pour une compétence à retravailler entièrement (score < 50%). Une compétence travaillée doit être validée par deux points verts : un lors du test final, un autre lors de la rédaction de la “fiche mémento” (sorte de fiche-leçon dans laquelle l’élève écrit la règle acquise et ajoute plusieurs exemples-types ).
    Lorsque toutes les compétences échouées ont été validées, l’élève peut demander à passer un folio de la ceinture correspondante : la ceinture est validée en cas de réussite, sinon retour à l’entrainement sur les compétences échouées.
  • Les échecs sont explicités lors d’entretiens individuels au cours duquel on pointe “ce qui a été réussi” et également “ce qui n’a pas encore été réussi”. Ainsi, les erreurs ne sont que des réussites à venir ! Les compétences à retravailler peuvent être annoncés pour mettre en place une aide ponctuelle par des élèves volontaires.
  • Toutes les réussites de ceintures sont validées en collectif selon un rituel “roulement de tambour” : les élèves tapent des mains sur la table jusqu’à l’annonce du mot “CEINTURE… (silence) “… ORANGE…(silence) …DE CONJUGAISON… (silence) … …(silence) …pour FATOU !” (bravos et applaudissements).

Ainsi, tout le monde a son moment de gloire dans la classe puisque tous les élèves réussissent des compétences et valident des ceintures après un entrainement plus ou moins long. Évidemment, certains réussissent plus vite et plus souvent que d’autres ! Mais la logique de progression individuelle au rythme de chacun demeure.

Pour en savoir plus :

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